Journal d'un pèlerin - 21/1
2 Novembre, 2015
Un des grands avantages d'être sourd est de pouvoir passer à côté de nombreuses perturbations. Ce matin, je m’aperçois finalement d’une habitude dans les monastères, où quelqu’un passe devant toutes les cellules, avant l’aube, en frappant à la porte pour annoncer que la liturgie va commencer. À Karakallou, j’avait déjà surpris le "sympathique" moine allemand (le chien de garde du catholicon, forçant ceux qui n’étaient pas orthodoxes à prendre froid sur le narthex extérieur) qui frappait à ma porte avant quatre heures du matin. Ici c’est un jeune volontaire, qui frappe doucement pendant un temps, en récitant je ne sais quoi.
Je lis un chapitre du livre sur la vie de l’ancien Joseph l’hésychaste, qui est une version chrétienne parfaite de la loi du karma, avec plusieurs explications de comment la gérer. Dans son langage, «négligence» signifie l’acédie, l'incapacité de se diriger vers Dieu, c’est comme une terre aride qui n’arrive à produire aucun fruit. L'autre obstacle majeur est l'estime de soi (ou de la fierté), mais cela fonctionne plutôt comme quelque chose qui pourrit un fruit déjà conquis.
Comme il faisait une journée splendide, ensoleillée et sans un nuage, j'ai décidé d'aller voir les montagnes autour de Vatopedi. Prenant le chemin vers Zografou, la montée commence par les collines d'oliviers, puis on passe à une forêt très semblable à la nôtre, à Madère, pleine de bruyères, de lauriers, de nombreux arbustes à baies, ponctuée ici et là par des fleurs sauvages. Au sommet, après avoir atteint l'intersection de quatre routes, la Héra (ou Chera), je continue pendant plus d'un kilomètre, histoire d’avoir une vue de Zografou, mais j’ai seulement réussi à voir la mer sur la côte sud.
À l’heure de la trapeza, tous les moines sont sortis vers le port, car l’arrivée de l’Higoumène était prévue, après une absence de 10 jours. On se gelait, mais l'excitation générale était plus forte que le froid. Cela dit, j'ai remarqué que les moines n’étaient pas si contents que cela, au fait ça ressemblait plus à l'arrivée d'un chef politique, où chacun cherche à prendre la position la plus avantageuse, qui lui permettra d'obtenir les meilleures faveurs. Déjà l'attitude des pèlerins était différente, plus dévote. Lorsque le Geronda Ephraim a débarqué, la foule l'a suivait, avec des moines vêtus de manteaux rouges pour ouvrir la voie, des bougies et de l'encens, presque en procession, comme si c’était un Pape local. Après une courte cérémonie au catholicon, la trapeza était très abondante et couronnée par un discours interminable du Geronda.
Novembre 3, 2015
La trapeza du matin était à nouveau un festin. Père Constantin m'a dit que sur sa table, il y avait 10 traverses pour juste 5 moines. À ma table, on n’était pas non plus loin de ça: poisson grillé, hamburgers et saucisses de poulpe, pâtes à la sauce, de la crème, des aubergine panées, champignons sautés, yaourt-mayonnaise, fromage feta, poivrons, laitue et concombres, pain, vin et biscuits de pâte brisée.
Et je constate que je suis en train de devenir complètement contaminé par la gourmandise qui est inévitable dans un environnement où la nourriture est disponible en exagération. Les nouveaux arrivants sont plus sobres que les résidents, et regardent avec étonnement les moines et les visiteurs à long terme qui ne cessent de manger pendant les 30-40mn de trapeza. Et quand on finit de manger, quelques moines s'affalent même sur les tables pour somnoler. Surtout quand on a encore à supporter un long discours du Geronda, ou la lecture de la règle, rallongée pour satisfaire les invités.
Père Constantin m'a prêté trois livres de la bibliothèque, et pendant le petit entretien dans son bureau j’ai eu la mauvaise idée de lui parler de la croyance en la réincarnation, au temps des premiers chrétiens. Il défend que ce sont juste des idées new-age, et met déjà en question la raison de mon baptême. "Vous devez lire les Evangiles, vous devez avoir la foi dans la Parole, et ne pas chercher à interpréter avec la raison." Dans une certaine mesure, il a raison puisque les catholiques ont rationalisé ce qui n’est pas rationalisable. Mais cela n'empêche pas d’utiliser la raison pour soutenir et donner une structure à ce qui est d'abord détecté par la sensibilité et transmis par la lumière et la grâce de Dieu.