Les idées se reproduisent à la vitesse de l’éclair, se groupent par “air de famille” et constituent de véritables “villages” et citadelles dans l’atmosphère. Il existe même une science dite “mémétique” qui étudie ce mouvement de reproduction semblable à celui des virus.
Je crois que le plus grand obstacle pour pénétrer dans la logique et la vie du Christianisme pour ouvrir les vannes de la Miséricorde repose dans la mentalité moderne consistant à “revendiquer des droits” pour tout: des droits pour ceci, des droits pour cela (et ce avec toutes les “bonnes raisons”). Ce n’est pas la peine de donner des exemples car chacun en trouvera autour de lui avec aisance dans toutes les strates de la société et à tous les âges.
Car la mentalité chrétienne prend à mon sens l’exact contre-pied de cette tendance (raison pour laquelle elle est inintelligible pour les oreilles de notre temps qui consacre le “règne du droit”). C’est même exactement l’inverse.
La créature étant un “néant ontologique” face au créateur qui confère à l’être fini sa forme infinie (mais ils possèdent tous deux l’être -la “sistence” en partage, même si pour l’un cela correspond à un maximum d’intensité croissant à l’infini et pour l’autre un minimum tendant vers la limite du zéro) ne peut revendiquer quoi que ce soit pour elle-même.
Comment zéro pourrait-il prétendre avoir des droits comptabilisés en unités sonnantes et trébuchantes ?
La créature ne peut prétendre au statut ontologique de “personne” que par les actes qu’elle pose. C’est un acquis au terme d’un processus vivant. En revanche, le statut juridique de la personne est complètement différent et donné d’emblée comme “droit” général conféré à l’espèce prise comme un tout. C’est un décalque du “général” et non l’advenue d’une singularité et d’un “particulier”.
Vouloir calquer le régime droit sur le champ du salut conduit à une confusion totale et une mé-compréhension des ordres et registres de l’existence car le “droit” et le chemin du salut ne découlent pas l’un de l’autre.
Je ne dis pas qu’il faudrait abolir le droit général et les droits particuliers (cela serait absurde), mais plutôt en comprendre l’économie réelle et le bon usage pratique (réclamer des droits ne mènera jamais à l’être, alors que c’est l’espoir secret et inconscient des revendicateurs de tout poil; plutôt à la guerre de tous contre tous et à une forme de contradiction universelle portée à son acmé), afin d’amener la paix et une société sensée et sensible au bon sens commun.
C’est donc en contemplant leur différence essentielle et spécifique qu’on peut cerner les deux objets et trouver la clé de la Miséricorde, le sésame, la graine qui en ouvre les vannes et chasse les obstacles.
En effet, le règne abstrait du “droit” pris comme une fin en lui-même consacre celui de la multiplication “atomistique” des revendications qui pullulent sans fin dès lors que la boîte de pandore est ouverte, niant la constitution des personnes par relation concrètes et non formelles (ce qui engendre le désespoir dans les âmes, la déprime dans les corps le laisser-aller dans la vie).
A moyen terme il “consacre” en sens inverse la destruction des liens sociaux naturels, puisque tout devient objet de normes qui prolifèrent jusqu’au point où les enfants peuvent “légitimement” attaquer les parents en justice (dès que le moindre “droit” est supposé bafoué souvent de façon fictive), les élèves les professeurs, etc, les parents leurs enfants, choses absolument impensables auparavant. La vie en société en devient de fait pratiquement très difficile et réduite à une peau de chagrin.
L’espace privé sacro-saint dans lequel se trouve confiné l’exercice de la religion tout juste “toléré” par les pouvoirs en place ne résiste pas longtemps lui-même à cette invasion, car la “sphère des droits” tend à une expansion maximale et infinie et veut conquérir toujours plus d’espace.
Et donc à terme je crois que cet “espace privé” qu’on prétend préserver, le sacro-saint “sanctuaire de la conscience” n’est pas préservé, mais au contraire bafoué tranquillement. Cela serait un motif suffisant d’inquiétude, de déploration et de désespoir en soi.
Mais si l’espace privé est en réalité violé en toute bonne conscience (on peut punir maintenant pour des motifs subjectifs n’ayant pas eu lieu et non pour des faits avérés), en revanche l’espace temporel demeure et demeurera libre pour l’éternité.
Car rien n’empêche de “voyager dans le temps” et briser les digues qui font obstacle à l’irruption de la Providence. Personne ne peut empêcher et limiter cette capacité par nature infinie.
Pour cela il faut aimer “l’être-dans” propre au temps, abandonner une conception extra-temporelle (nous sommes situés “dans” le temps comme un milieu spatial extérieur à nous) et lui favoriser une conception “intra-temporelle” (le temps constitue la forme interne de notre esprit sans nous conditionner) en étudiant avec empathie les modes de vie différents de nous sans plaquer nos représentations.
Car la seule chose qui peut préserver la conscience c’est une “liberté de circulation” et de “communication” entre plusieurs espaces et non demeurer forclose en elle-même dans un seul.
Cela revient à assumer une certaine “pauvreté” au départ, celle d’un existant ouvert sur autrui et “jeté” dans un monde, voué tragiquement à la mort, sans consistance autre que sa contingence absolue dans l’espace.
L’écart absolu reconnu entre une créature sans “droits” intrinsèques car “néant de forme” et la Majesté d’un être doté de qualités resplendissantes confère à cette créature tous les “droits” qu’elle revendique autrement dans le vide, à condition qu’elle se voie, se sente et s’estime comme “rien” à la base.
En effet, l’acte de reconnaissance qui s’en suit est en soi une assimilation et une nourriture à travers un miroir : l’être partagé en mutualité -même au point minimal zéro- possède la propriété “magique” de se voir conféré une forme, celle qu’il reflète sur-naturellement, et ces formes sont multiples et infinies.
“Porte au monde l’annonce de ma grande et insondable miséricorde. Prépare le monde à mon second Avent. Avant que je ne vienne comme juge, j’ouvre encore une fois tout grand les portes de ma miséricorde.
Les flammes de ma miséricorde me dévorent : je me sens poussé à la déverser sur les âmes. Des fleuves d’amour s’écoulent de toutes mes plaies, et surtout de mon cœur. Pour punir, j’ai toute l’éternité, mais à présent je prolonge encore le temps de ma miséricorde. Je ne punis que si l’on m’y oblige.
Je désire que les pécheurs viennent à moi sans aucune crainte. Les grands pécheurs ont tout particulièrement droit à ma miséricorde. Je me réjouis lorsqu’ils prennent refuge en ma miséricorde. Je les inonde d’amour, bien au-delà de leurs attentes…
C’est pour eux que je suis venu sur cette terre ; pour eux que j’ai versé mon sang. Je ne peux punir celui qui s’en remet à ma miséricorde. Aucun péché, même si c’était un abîme de méchanceté, ne pourra épuiser ma miséricorde ; car plus on y a recours, plus elle se répand en abondance.
Le pécheur qui viendra se réfugier en ma miséricorde me glorifiera et honorera mes souffrances, fussent ses forfaits noirs comme la nuit. A l’heure de sa mort, je le défendrai moi-même comme mon honneur. Le plus grand pécheur désamorce ma colère lorsqu’il fait appel à ma compassion. Je lui fais droit par ma miséricorde insondable et infinie. ” (Journal de Sainte Faustine) http://www.seraphim-marc-elie.fr/ar...
Face à la puissance de la Miséricorde infinie, l’”égalité” de finitude de l’être qui périt lamentablement face à la mort sans même mourir véritablement (car pour mourir il faut être et être ne se fait pas sous le régime du général) se mue en découverte d’une forme foncièrement inégale au reste car unique et particulière.
Elle échappe au règne de la “justice” car l’attribut de Miséricorde est plus fort et essentiel que l’autre. Il ne représente jamais un “droit” acquis pour toujours mais une conquête à renouveler à chaque instant.