Journal d'un pèlerin - 23/1
5 Novembre 2015
Enfin, le grand jour est arrivé ! Mais au lieu d'avoir le temps de prendre une bonne douche avant de me retrouver avec Père Constantin et assister à la liturgie des 6h30, j'ai été réveillé à 5h15. Je devais me dépêcher parce qu'on m’attendait pour des prières préliminaires. Sans avoir même le temps de me laver le visage et les dents, je suis allé à l’église, où se déroulait encore la fin de Matines, et l'officiant m'a accompagné à une chapelle à côté du narthex, où Père Timoteos, l'ami de Père Constantin, allait faire la 1ère partie des exorcismes.
Puis retour à l’église, où débutait la liturgie du jour, une liturgie spéciale et unique, selon Père Constantin, de Saint Jacques, célébrée une seule fois par an. Ce fut une cérémonie assez complexe, avec 15-20 moines officiants et le Geronda, tous vêtus de vêtements crème et rouge, la tête découverte.
À la fin, Père Constantin m'a conduit à une petite chapelle, cachée sous une aile basse d'un bâtiment, pleine d'amphores et de grands vases d'argile, mélangés avec des tuyaux modernes et pompes à eau. Père Constantin m’a laissé là, me souhaitant bonne chance, parce qu'il n’était pas supposé assister à la cérémonie du baptême. Peu après, le même prêtre de la veille arrive, accompagné de trois laïcs, portant une baignoire en plastique plein de serviettes et accessoires divers. On y entre et, après l'allumage des bougies et des lampes, on attend Père Theonas. La chapelle est dédiée exclusivement aux baptêmes. Dans sa partie centrale, il y a une petite piscine en marbre blanc, avec des marches d'accès des deux côtés, depuis la porte latérale vers l'autel. Je me rends alors compte que l'un des laïcs sera mon parrain, un Cypriote, 55-60 ans, et le remercie pour cela. Les deux autres étaient ses amis.
Père Theonas arrive, avec deux autres moines qui vont aider, et on passe à la cérémonie. Ça commence par un renoncement à Satan et le mal, face à la porte, puis sortir et cracher sur le sol, le tout un peu théâtral. Puis, face au Naos, j’affirme à plusieurs reprises mon intention de m'unir avec le Christ et d'accepter le Credo. Puis Père Theonas entame plusieurs récitations, bénissant l'eau de la piscine et l'huile d'onction. Je me suis déshabillé et je suis en short, et on m’oint avec de l'huile. C’était plutôt une douche d’huile au fait, en particulier sur la tête et les bras. C’était mon parrain qui était en charge de faire ces opérations, ainsi que celles qui ont suivi, instruit par Père Theonas et les autres officiants. Après, je suis entré dans la piscine, heureusement à l'eau tiède, et, face au Naos, Père Theonas m'a fait immerger totalement 3 fois, en récitant chaque fois: «Je te baptise au nom du Père ... au nom du Fils ... et au nom du Saint-Esprit ". En sortant de l'eau, c’est encore mon parrain qui m’essuie, de la tête aux pieds. Enveloppé d'une serviette autour de ma taille, on passe tout de suite vers l'onction de confirmation, que Père Theonas exécute avec un petit bâton et coton trempé dans l'huile. Puis, je prends des vêtements propres, et une chemise blanche qu’on m'a prêtée. Il y a encore quelques récitations, mon parrain met autour de mon cou un fil avec un petit médaillon de Jésus Christ sur la croix, et on circule autour de la piscine, tous les 3, Père Theonas, moi et mon parrain, les cierges allumés à la main. La cérémonie est finie et on passe au Catholicon pour que je reçoive la communion. Père Theonas me la donne et c'est fini.
Je remercie Père Theonas et mon parrain, selon la coutume ici, et nous mangeons enfin quelque chose. Il est déjà 10h20 nous rejoignons les retardataires qui mangent dans la 2ème salle, pour un repas simple, des pâtes avec sauce tomate et du fromage. A la fin, nous parlons un peu, mon parrain vient de Chypre et travaille dans le ministère de l'éducation. Son ami travaille également au gouvernement et je crois comprendre qu’il occupe un poste influent et il a des relations proches avec le Geronda (qui après tout vient aussi du Chypre…). Il vient ici habituellement 3 ou 4 fois par an, juste à Vatopedi, car c’est le monastère plus lié à Chypre, et dans quelques minutes va prendre le bateau vers Ierissos et retourner chez lui.
Père Theonas nous rejoint et nous emmène au bureau du Geronda, où celui-ci nous félicite. "Yorgos est un bon nom!», dit il. Il distribue des morceaux de pain noir encore chaud qu'il a sur son bureau. On voit qu’il est l’illustration parfaite d'un homme politique, seigneur d'un petit empire, en pleine expansion, et connecté au monde du pouvoir, religieux et laïc. "Allez-vous visiter votre parrain, à Chypre?" demande-t-il, à quoi je réponds que peut-être un de ces jours. Je dis adieu, lui baisant la main, c’est la règle ici avec les Supérieurs religieux, et on sort. On dit au revoir à Père Theonas et j’accompagne mon parrain, Kyprianos, jusqu’à la cour, où nous nous sommes souhaités bon voyage.
Je vais enfin voir Père Constantin heureux, puisque tout s’est bien passé, et que je peux maintenant retourner chez moi Orthodoxe. Il admire le fil et médaillon, et me dit que mon parrain doit être quelqu'un riche. Là je me rends compte que c’est un cadeau de Kyprianos, que je n’ai même pas remercié. Il me montre alors une belle icône de la Vierge Axion Esti, qui est son cadeau pour moi. Je ne sais plus comment remercier tant de choses et tant de gens ... Quoi qu'il en soit, il m'interdit d'envoyer des choses comme des thés, des bonbons ou du vin, parce que tout serait volé à l'entrée au monastère. Aujourd'hui, il ne fait pas son travail, mais nous passons du temps à regarder des cartes, chargées par Internet, ce qui est leur façon de voyager dans les différentes villes et de voir où sont les principales attractions, habituellement les lieux de culte ou les bibliothèques.
Pendant le reste de la journée, les félicitations pleuvent, de la part de ceux qui ont su mon baptême par d’autres. Mais il est étrange de constater que tout le monde s’attend à une transformation magique, immédiatement après le baptême. Même dans les écrits des saints (par exemple le livre de S.Syméon le Nouveau Théologien) le baptême était censé donner un nouveau départ avec un esprit nettoyé de tous les péchés. Ce qui me frappe comme quelque chose de mythique, au moins dans le cas d'un adulte.
Après les vêpres, je ne vois pas Père Constantin, mais un moine français s’approche de moi pour me donner un petit livre de prières, à réciter avant la liturgie. Il me dit que Père Constantin est malade dans sa cellule. Je me suis senti aussi un peu fiévreux l’après-midi, mais ça passe rapidement après la nuit.
En lisant un commentaire complet sur la liturgie, dans le petit livre, tiré des écrits de S.Syméon le Nouveau Théologien, je me rends compte que le livre d’extraits que je lis à présent, d’un évêque russe, omet les passages qui permettent de mieux comprendre l'enseignement du saint. Ce dernier il explique que nous devons d’abord concevoir la Parole de Dieu en nous (plus précisément, dans le coeur), à partir du germe déposé là par la foi reçue (et par ce qu’on a lu et appris). Et c’est juste à partir de là qu'il est licite de se poser la question: Qu'est-ce que signifie en fait «manger Sa Chair et boire Son Sang»? Est-ce que ça se limite à prendre une part active à la cérémonie de la liturgie, culminant dans l'acte d'absorber les saints dons ? Ou cet acte n'est-il que l'aspect exotérique d'une communion interne, fruit d'un travail spirituel assez élaboré ?