La leçon de Platon n’a pas franchement été comprise, ce qui explique pourquoi la philosophie selon Whitehead n’a consisté jusqu’à présent qu’en notes et fragments de bas de page sous ses textes et ceux de son élève Aristote.
Mais ce dernier n’a pas forcément donné le meilleur exemple, puisqu’il lui a reproché une “abstraction” qui ne se trouve peut être pas dans la littéralité des paroles de son maître.
Pourtant, selon Alphonse Gratry qui remet les pendules à l’heure, la méthode du Père fondateur est belle et bien inductive et par des singuliers concrets. La “dialectique” est une élévation concrète permettant de s”élever graduellement par plateaux en cheminant progressivement du naturel au surnaturel.
Aristote aurait pu comprendre que sa propre méthode de recherche pouvait s’appliquer à des séries ascendantes de réalités et non simplement à ce monde sensible et à l’âme humaine simple “composé de matière et de forme”.
Par la suite, pourquoi les pléiades de théologiens n’ont-ils pas interrogé plus avant le statut de la“communion des saints” (objet non identifié à la fois mode d’être au ciel, concrescence de concepts qui nous échappent complètement au premier abord et corps vivants parfaitement “purifiés” sur terre) ?
Faute de cet “étagement” graduel, la créature se retrouve pour ainsi dire coincée entre son état “naturel” de péché et une réalité surnaturelle (la Trinité) décrite, mais sans qu’on puisse vraiment établir le rapport entre les deux extrêmes.
Qu’est-ce qui différencie un “corps de saint” (“purifié”) d’un corps naturel ? Les deux sont des substances au sens où ils partagent l’essence de tous les corps mais le premier est parfaitement “uni” aux accidents qui la composent.
Sa substance demeure pour ainsi dire “coagulée” avec ses accidents, alors que le corps ordinaire ne “colle” pas bien avec l’esprit qui l’anime (ce que nous expérimentons à chaque instant; cela nous donne l’impression de ne jamais être “en phase” avec nous-mêmes et le reste du monde).
Le terme technique est “hypostase.” Théodore de Raithu nous éclaire à travers le grand débat sur la nature trinitaire à l’origine de la patristique.
“L'étymologie de cette désignation d'« hypostase » vient du verbe « subsister » (huphestanai), et, demanière générale, d'« exister » (huparkhein) et de « venir à l'existence » (huphistastha). On pourrait penser, continue Théodore, que ce mot d’hypostase signifie la même chose que le mot ousia, ou substance.
Mais en fait il n'en est rien : car le mot « substance » (ousia) désigne l'être (einai) seul, tandis que le mot d'« hypostase » présente non seulement l'être (einai), mais aussi la disposition relative (to pôs ekhein) et le fait d'être quelque chose de qualifié (to hopoion ti einai)”.
https://www.academia.edu/525218/La_...
Alors que dans l’état commun l’être demeure une substance hétérogène de matière et de forme, l’hypostase humaine (quand elle a été réinformée par action de la grâce sanctifiante) devient un véritable “liant” entre l’être et sa manifestation, la matière et l’esprit, la substance et ses accidents. Nous disposons là du “chaînon manquant” de la chaîne d’or qui réunit alchimie, philosophie et théologie.
“Donc, si la substance (ousia) signifie quelquechose de commun (koinon), l'hypostase, pour sa part, désigne quelque chose de particulier oud'individuel (idikon). Par exemple, Paul est un homme, et en tant que tel il ne diffère point,pour ce qui est de son humanité, de tous les autres hommes.
Il ne se distingue de ces derniers qu'en vertu d'un certain nombre de propriétés accidentelles : sa provenance de Tarse en Cilicie, et de la tribu de Benjamin, le fait qu'on l'appelle aussi bien Paul que Saul, etc. Or ce sont ces accidents qui constituent son hupostasis”.
Face à une entité donnée, libre à nous de la considérer soit comme substance - dans ce cas on considèrera Paul en tant qu'homme - soit comme hypostase, lorsque nous la considérons comme ne faisant qu'un avec les accidents qui l'individualisent”. (ibid)
L’hypostase “surnaturelle” désigne le nom savant de la substance humaine transformée susceptible de raffinages que recherchent les alchimistes recherchaient et évoquaient à travers leur langage codé. Le démon possède une personne (il influence les autres) mais pas “d’hypostase” qui ne peut appartenir qu’à un être “pur” dans lequel les accidents jaillissent spontanément et naturellement de la substance expressive sans contradictions.
Une nouvelle hypostase est une nouvelle réalité, un nouveau type d’être qui aura son fonctionnement propre.
“Quel est le mode d'unité de ces deux choses ou domaines, lorsqu'ils se réunissent pour former l'Un-Étant ? Il ne peut s'agir d'une simple juxtaposition, ce qui donnerait lieu à un simple cas de prédication accidentelle. Au contraire, il se forme une idiotês hupostaseôs, que Pierre Hadot a traduit par« individualité hupostatique », c'est-à-dire, un mode d'existence où l'Un n'est plus la même -n'a plus la même hupostasis - que l'Un de la première hypothèse. En effet, le caractère propreidiotês- de cet Un de la première hypostase est la simplicité akraiphnotês- caractère quel'Un de la seconde hypothèse ne possède plus, s'étant livré à la combinaison et au mélangavec l'Être.
Cependant, ce nouveau mode d'existence -hupostasis- de l'Un, bien que différende celui de l'Un pur, n'en est quand même pas complètement distinct. Cette nouvelle hypostase imite la simplicité de l'Un pur, autrement dit, elle en est l'image (eneikonizomenê ),avec tout ce que cela implique comme dialectique entre le Même et l'Autre”.
L’advenue de la nouvelle réalité est bien suggérée, mais l”école néo-platonicienne est limitée par son approche “descendante” (tout part de l’Un et de la dérivation des êtres qui s’en suit). Pour mieux appréhender le phénomène, il faut partir conformément à Platon du singulier et du sensible pour s’élever (et non tout voir d’”en haut” d’un point de vue assez imaginaire et théorique).
A leur époque, parler et gloser ouvertement sur le “corps de gloire” aurait pu entraîner le bûcher, puisque simplement mettre en doute l’existence de Dieu pouvait déjà conduire à la potence et au gibet.
Aujourd’hui, la réalité de “l’hypostase” fondement du corps des saints est occultée. Autrefois, elle était dissimulée et enfouie car la société fonctionnait par exclusion. Maintenant on “noie le poisson” en confondant tout, en “égalisant” toutes les données et en refusant a-priori la hiérarchisation des informations, ce qui entraîne de fait l’impossibilité d’un progrès et d’une évolution réelle, bloquant au passage perspectives, prospectives et horizon confiné au quotidien d’un présent désespérant.
Comment progresser réellement si chaque personne telle un Descartes en chambre doit tout reprendre de zéro à chaque fois ? Chacun s’invente un monde (ce qui est fort sympathique au demeurant) mais y a-t-il vraiment positivité et progrès ?
Le corps des saints, “lieu” des diverses hypostases, permet à la fois une élévation dans les degrés de subtilisation de la matière par l’esprit, une actualisation des essences abstraites et virtuelles, une incarnation des idées.
L’”intercession” se dit en des sens multiples et ne saurait se réduite aux prières des saints pour les mortels. Il s’agit là de tout un monde, d’un continent pas complètement insubmersible et inaccessible, une Atlantide ressuscitée.