Journal d'un pèlerin - 11/1
22 Octobre 2015
J’ai dormi jusqu’à environ 5 heures, mais je n’étais pas du tout fatigué quand je me suis réveillé, et j’ai pu méditer longtemps sur l'icône de la Vierge Portaitissa. Quand je suis arrivé au service du matin, il était déjà presque terminé au catholicon et tout le monde était passé à la petite chapelle de la Portaitissa. Là, le service était extraordinaire. Les cantiques faisaient des frissons dans mon corps, et un esprit commun de recueillement et de dévotion était clairement perceptible.
J'ai donc trouvé mon icône d’élection, et j’aimerais bien ramener avec moi une copie de la Vierge Portaitissa, bénie si possible. En absence de saint à proximité, l'icône peut aussi servir de repère d'impression des modèles divins. Alain Durel a effleuré son sens tout en écoutant le Père Petronios, mais je pense qu'il n'a pas réalisé son importance réelle et pratique: «L’icône a une grande signification, elle représente non seulement l’incarnation du Christ mais l’incarnation du projet de Dieu sur l’homme, c’est-à-dire, la réalisation du salut à travers les saints dont Marie est le modèle ».
Mais cette incarnation, ou plutôt, cette impression ne peut être transmise sinon à un esprit qui, auparavant, s’est purifié et s’est "réduit à rien." À savoir, qui a nettoyé son esprit des marques du karma et qui a amplifié sa sensibilité. Tout comme chez les anciennes pellicules photographiques, qui devaient évidemment être vierges, avant de recevoir la lumière émise par l'image, pour pouvoir être enregistrées. Et lorsque la lumière est faible, la sensibilité de la pellicule aussi doit être plus grande afin d'enregistrer clairement. Alors, quand le dévot ne dispose que d'une icône, sa lumière est plus faible que celle qui provient d'un saint, mais elle est encore susceptible d'imprimer le modèle divin qu'il véhicule. Une "attention" plus précise et soignée s’impose dans ce cas.
Je fus étonné quand Panagiotis m'a dit qu'à l'heure actuelle il y a juste 28 moines qui habitent à Iviron. Comment arrivent-ils à soigner et donner vie à ce bâtiment colossal avec si peu de gens ? Peut-être à cause de cela, de la renommée de la Portaitissa et de la petitesse de sa chapelle, Iviron accepte seulement un petit nombre de pèlerins, et uniquement avec réservation préalable. Mais il y a un groupe de roumains et Européens de l'Est qui vivent dans une maison à côté et qui travaillent pour le monastère.
Panagiotis est un curieux personnage. Malgré cet ami moine, E*, qu'il visite deux fois par an depuis de nombreuses années, il est athée et n’a jamais établi de connexion avec la spiritualité. Il me semble solitaire, vivant seul avec ses 4 chats, et qui a récemment pris intérêt à apprendre le turc, une langue complexe, avec les mêmes racines que le hongrois et le finlandais. Il n'a pas pratiqué l'anglais depuis plus de 20 ans, et maintenant s’étonne de voir comment presque tout lui revient à mémoire, malgré le fait qu’il a vécu seulement un an en Angleterre. Il m’enseigne certaines choses du grec et du turc, et nous parlons de l'histoire des occupations étrangères dans nos pays. Lui, par les turcs, et moi, par les les espagnols.
Ensuite je cherche le moine chargé de recevoir les pèlerins, Père Leodios, un grec maigre, dans la quarantaine et presque 1m90, mais celui qui je trouve au bureau de réception c’est un gentil vieil homme à la barbe blanche et un sourire de garçon. Père Pavlos ressemble à une figure sortie d’un conte, genre Blanche-Neige et les Sept Nains, plein de bonhomie et toujours actif. Je tente d'échanger quelques mots en grec, puisque je cherchais un livre en anglais à lire, et il m’emmène droit au parloir des pèlerins au 1er étage, mais j'avais déjà fouillé en entier et il n'y avait rien en anglais ou en français. Alors, sans hésitation, il me conduit à travers les immenses couloirs d’Iviron, sans fin, vers l'extrémité opposée de l'immeuble, composé de 4 grandes ailes. Malgré ses 70 ans, voire plus, il marche et monte les escaliers comme un garçon de 20 ans, plein d'énergie, et il m’est difficile de le suivre. Nous arrivons ainsi aux installations du Père Jeremias, une salle pleine de livres, sa bibliothèque privée. En anglais, je vois peu de titres, surtout des livres sur l'observation des oiseaux. Je prends un livre de d'un certain Mgr Georges Khodr, et nous retournons dans l'aile des pèlerins. Sur le chemin, Père Pavlos me conduit à un compartiment plein d'une pierre blanche, prend deux morceaux et me les offre. « Savon! » Je m’exclame. Brassé ici et pour leur consommation propre. Il rit à haute voix et nous reprenons notre chemin.
Plus tard, après les vêpres et le repas du soir, il me prend à nouveau pour aller chercher Père Jeremias, lequel serait la personne indiquée pour me donner des informations au sujet du baptême et de la vie monastique sur le Mont Athos. Mais celui-là semble ne pas avoir le temps et on reporte l'entrevue pour le lendemain. À la fin du petit service à la chapelle de la Vierge Portaitissa, Père Leodios me fait signe d'aller avec lui pour parler un peu. Quelques heures plus tôt, il m'avait renvoyé avec une certaine rudesse, à cause de son manque de temps. Mais maintenant que le ciel s'est un peu dégagé, après la pluie constante toute la journée, nous partons ensemble pour une promenade le long de la rivière à l'Est, jusqu’à la plage, où les vagues se brisent avec violence et l'éclat des éclairs traverse la brume du crépuscule. Je lui parle des raisons pour lesquelles je suis venu, de mon désir d'avoir une vie consacrée à Dieu et j’essaye de savoir ce qu'il pense des problèmes que les moines rencontrent au Mont Athos. Pour lui, un des principaux problèmes c’est de devoir vivre avec des gens de différentes cultures et éducations. Mais même dans des communautés relativement petites, on peut toujours retrouver notre espace privé, après avoir rempli nos obligations, en particulier dans un immense monastère comme Iviron. En fin de compte, la glace qu’il y avait entre nous s'est un peu cassée, parce qu'il m'a accepté pour une journée de plus, malgré avoir un agenda de réservations très rempli.