L’église est primitivement et historiquement la gardienne de l’institution de l’eucharistie, la pierre de touche sur laquelle elle repose. A partir de là elle peut évoluer en deux directions :
- soit elle cherche à disposer de ce trésor en lui-même, à le circonscrire et l’enfermer en quelque sorte, à en faire un objet, simple prédicat du sujet réel qui est le Christ.
- soit elle considère qu’elle « est » au sens ontologique le plus fort ce trésor lui-même qui est vivant et cherche à croître spontanément.
Cela donne deux états d’esprit et deux méthodes :
- soit un “contrat” initial un peu idyllique, une vision très optimiste et juridique du chemin assortie d’une certitude formelle de résultats (le baptême qui fonctionne soit disant à tous les coups, la fable que juste aller à la messe suffit pour obtenir les dons de l’Esprit avec la pseudo certitude de se situer du “bon côté” au paradis).
- soit une situation de base reliée à notre désorientation fondamentale, une absence de caractéristiques absolues dans la voie et une incertitude sur l’obtention de quoi que ce soit.
En termes de parcours amoureux, on a la situation réelle d’un engagement basé sur une confiance mutuelle et une “foi” mais sans certitude absolue que cela va fonctionner, et de l'autre côté l’illusion qu’un contrat avec des règles strictes va garantir qu’on va pouvoir disposer pour toujours de quelque chose.
Suivant que l’église « penche » et oscille plus d’un côté ou de l’autre (l’être ou l’avoir si on schématise), il en résulte quelque chose de complètement différent et même carrément opposé. Il est aisé de voir que les saints forment le « corps mystique » de l’église et sont reliés à cet aspect vivant et en croissance perpétuelle. En fait ils forment ce corps même sur lequel les pécheurs peuvent venir s’agréger par leur prière.
Dès le début et sa constitution primitive, les deux forces jouent dans le sein de l’Eglise comme antagonismes. Il est facile de constater qu’elle est celle qui a écrasé l’autre aujourd’hui, puisque le résultat repose sous nos yeux en permanence. Il se traduit par le discours type comme quoi « nous sommes déjà sauvés et tout est parfait tel quel » très différent du verbe régénérateur et de la parole créatrice...
Or, vouloir "être sauvé" consiste quelque part à vouloir "avoir dieu" (faire du sujet un prédicat et un objet selon la « connaissance propositionnelle ») tandis que vouloir "aimer Dieu" c'est désirer devenir semblable à Lui (connaissance par identité).
Cette fameuse "connaissance par identité" (qu'on peut distinguer avec précision des autres types de connaissance) part pour l'homme de la constatation factuelle de sa misère partagée avec le Genre Humain (ce n’est pas une connaissance particulière, empirique, propositionnelle du type « je sais que x ou y » ou fondée sur la mémoire ou une connaissance abstraite, formelle et logique). Elle est de ce fait réellement commune à tout le monde, pragmatique et existentielle même si son contenu est pauvre et un rien. Il se résume à cette formule : « je suis un néant, une créature misérable placé en face de l’infini et au milieu du vide ».
Alors, je peux commencer à "co-naître" d’une façon vivante. Cette connaissance est masquée parce qu'au départ notre organisme est construit soit pour acquérir des savoirs momifiés qui vont venir s’accumuler par strates successives à partir d'un supposé savoir antérieur (qui donne naissance à la force contraire de se débarrasser de trop de savoir vécu comme une charge, un fardeau pesant et contraignant). Il ne « pense » pas à partir de l’unique chose univoque et partagée par tous : la condition de faiblesse, d’incertitude et de manque.
Mais la "gnose" authentique part de ce point de départ commun, à partir de quoi l’être humain peut commencer à connaître d'autres choses, d'autres être par leur "raisons séminales" comme on disait autrefois (« logos spermatikos » ou pouvoir de faire germer une chose, un être, un phénomène). Cela conduit à une contemplation naturelle des signes de la nature qui bien conduite peut mener à la contemplation surnaturelle de leurs racines au Ciel suivant une progression graduelle et harmonieuse. C’est un autre point de départ, une nouvelle naissance.