Journal d'un pèlerin - 2/1
11 octobre 2015
Une autre journée de pluie à Lisbonne. Je prie et j'écris, en attendant le voyage vers Rome.
Je crois comprendre mieux ce dont les tibétains parlent à propos de la méditation sur une divinité. Les descriptions de la divinité, objet de méditation, sont pleins de minutieux détails, depuis l'aspect global de l'expression jusqu’à la bijouterie et les ornements, et d'autres détails sur les êtres et lieux environnants. Une lecture extérieure et mentale est pour le moins fastidieuse, et ce n’est pas sans raison que nous nous demandons quel intérêt il y a à évoquer toutes ces choses.
Mais en réalité, il ne s’agit pas d’évoquer ou visualiser quoi que ce soit. À partir du moment où le cœur est suffisamment axé sur une conception minimalement pure, construite sur la base de l'amour et de la connaissance de quelques qualités de la divinité, il se déploie spontanément beaucoup de détails. Et la vision de chaque détail est accompagnée par des sentiments ineffables et variées. On comprend bien pourquoi les ascètes peuvent passer des heures d’affilée en adorant ces «décorations» et ces détails particuliers. Il peut y avoir une ligne définie, tracée par les maîtres antérieurs, mais le caractère principal est que l'esprit n’est pas forcé vers la représentation d’une «copie» de ce qu'il a appris du maître, ou qu’il a vu dessiné sur une tangka. Les images qui apparaissent peuvent dépendre de la forme de l'esprit du pratiquant, ou de ce dont il a besoin à ce moment là. Dans mon cas, en méditant sur la Vierge de Fatima, Elle m’apparaît semblable aux icônes russes, une dame-fille, entourée par une multitude d'étoiles, de bijoux, de brocarts. Les icônes grecques, elles, me semblent venir d'un autre monde, tout à fait différent, où il y a peu d’attributs qui font résurgence visuelle, et presque tout s’exprime au niveau intelligible (pour moi).
Un refuge de gloutons, au milieu de nulle part
Arrivé à Ciampino, je suis emmené à l’hôtel par une mère de famille, avec son enfant de 4 ans qui ne cesse de poser des questions. Il est situé dans une banlieue déserte, aux abords de l'aéroport. Il s’agit simplement d'une résidence familiale, augmentée de quelques chambres à l'étage supérieur pour accueillir les hôtes.
En proie à la famine, je me laisse tenter par la suggestion de l’hôtesse pour aller au restaurant d'à côté, plutôt que de me contenter du pain, des œufs et des fruits que j’avais apporté. Le parking du restaurant est déjà plein de voitures, et plusieurs personnes attendent à l'extérieur. Il est 20h mais il semble que la plupart des clients ne sont pas encore arrivés. Et effectivement, le lieu se remplit en moins de 20mn.
C’est le genre de certains restaurants portugais, où les employés volent de table en table, chargés de différents plats, et où se réunissent des familles et des groupes animés. La nourriture et la conversation à haute voix sont les reines du lieu. Et moi qui pensais que c’étaient les portugais qui mangeaient jusqu’à tomber malades, mais ces Italiens dévorent les plats les uns après les autres, et semblent être toujours au début du repas. À côté de moi il y a un couple, pas trop jeune, qui a dévoré une demi-douzaine d’entrées, poissons et fruits de mer, avec du pain, 2 plats de moules, des spaghetti aux moules, un risotto, et quand je finis ma pizza, ils discutent encore avec le serveur sur la taille du poisson qui sera préparé pour le prochain plat. Je n’imagine même pas ce qui va suivre, dessert, café, etc ... Ce qui est le plus impressionnant c’est que la plupart gens ne sont pas trop gras, en particulier les femmes, qui semblent avoir le plus grand soin avec leur apparence. Et aucun des plats n’était cher, y compris des pizzas, énormes et très bien faites, allant de 6,5 à 9 euros.
En face de moi, je pouvais apprécier un groupe, centré sur la figure d'un homme bien habillé, la soixantaine, qui semblait faire un point d’honneur à montrer qu'il avait encore tout son charme. Entouré par des femmes et des hommes plus jeunes, on voyait son besoin de montrer une énergie qui devrait déjà lui manquer. Comment sera sa vie quand il sera à nouveau tout seul dans son coin et face à son sort inévitable ?
Les Italiens semblent élever à un niveau supérieur la nécessité de dissimuler le malaise existentiel (visible partout), le recouvrant avec un esprit de fête, des conversations et des plaisanteries à haute voix.
12 octobre, 2015.
Après une mauvaise nuit, avec une pizza qui s’est obstinément refusé à être digérée, comme on pouvait s'y attendre, puisque je me suis couché l’estomac plein, la journée a commencé tôt à 4h15.
À Thessalonique, malgré toute ma préparation, avec des cartes et des adresses de la station de bus, ça n’a pas servi à rien. Après un long voyage de 1h à l'autre bout de la ville, vers la station terminale KTEA Makedonia, il se trouve que le terminal cherché était sur le côté opposé, près de l'aéroport. Encore 1h30 d'attente et 45mn de voyage pour arriver 15mn après le bus de 12h45 pour Ouranopoli. Donc 1h30 d'attente supplémentaire... Mais je ne suis pas pressé, peut-être qu'Ouranopoli est plus agréable que Thessalonique, laquelle n’est plus qu’une sorte de ville-banlieue, avec des rues ornées de boutiques à la mode.
Et au moins dans la station Mak KTEA, j’ai pu acheter une carte SIM Vodafone et parler avec une jeune fille blonde très sympathique.
Arrivé à Ouranopoli, un petit village qui sert de porte d’entrée au Mont Athos, je constate qu’on en a fait un autre nid de marchands du temple. Et plus récemment, c’est l’invasion des condominiums de luxe et hôtels bien-être, qui poussent comme des champignons.