Via dolorosa
Récemment, dans mon travail, nous étions confrontés à des travaux de rénovation qui devaient être effectués en très peu de temps. Comme d'habitude, la préparation (faite par mes patrons) a été minime, quelques jours avant le début des travaux, bien qu’ils aient déjà eu un long passé d'échecs majeurs et de pertes économiques, grâce à ce manque de préparation. Ici, la sagesse d'Abraham Lincoln est complètement inconnue: "Donnez-moi six heures pour abattre un arbre et je vais passer les quatre premières heures à moudre la hache"
Quelques jours plus tard, il devenait évident que les travaux ne progressaient pas au rythme nécessaire et que la date fixée échouerait à moins que le travail soit redoublé ou qu'un miracle se produise. Et j'ai décidé d'attirer l'attention sur cela. Eh bien... j'ai reçu un déluge de critiques, surtout sur mon attitude: "Tout est sous contrôle et rien ne peut échouer... Nous devons croire qu'il est possible de faire le travail à temps (comme nous l'avons réussi à d'autres occasions). Avec ton attitude négative, tu ne peux jamais rien atteindre! » Les Anglais ont la bonne expression pour cette façon de penser (et d'agir): wishful thinking (un vœu pieux). Je préfère l'appeler "pensée magique".
Nous commençons par formuler une idée, selon ce que nous visons, plus ou moins adaptée à la réalité (selon nos expériences passées, ou alors sortie de nos rêves ...) et nous nous disons, et aux autres, que cet objectif doit être atteint à tout prix. Sans regarder une deuxième fois pour vérifier si c'est réellement possible et, lorsque les problèmes en cours de route commencent à apparaître, ne jamais laisser remettre en question les hypothèses initiales. C'est-à-dire que la pensée et l'acte créatif (établir un objectif et travailler pour le réaliser) sont confondus avec un refus total d'adapter et réviser le chemin emprunté, face aux obstacles et aux nouvelles données trouvées ("nous pagayerons toujours dans la même direction quoi qu'il arrive et tenez-vous au bateau, contre les vents et les tempêtes, jusqu'à ce qu'il coule ... ").
Et il arrive exactement la même chose dans la spiritualité. La préparation consiste à créer les bonnes circonstances pour l'énorme effort et concentration qui seront nécessaires. Dans la vie, nous avons plusieurs occasions où nous pouvons faire des choix. Une carrière professionnelle de renommée mondiale ou une vie plus familiale? Gagner beaucoup d'argent ou devenir riche de culture et de connaissance spirituelle? Nous n'avons pas le temps pour tout, ou bien nous courons simplement d'un endroit à l'autre, ne faisant rien comme il se doit.
Et le vœu pieux est (malheureusement ...) la chose la plus commune dans le domaine spirituel :"Voulez-vous avoir le salut après cette vie? Suivez les commandements du Christ et allez à la messe le dimanche. Veux-tu réaliser l'union avec Dieu (ou avec le Grand Cosmos Absolu?) Pratique cette méditation 30 min, 2 fois par jour. Veux-tu devenir heureux? Publie tous les jours sur Facebook 10 articles sur la pensée positive !"
Mais depuis quelques années, j'ai découvert que pour avancer dans notre évolution globale (qui passe forcément par l'évolution spirituelle), nous devons constamment réévaluer le chemin emprunté, abandonner tout ce qui ne nous sert plus (même si on y a été accroché à cela pendant des années ...), et embrasser de nouveaux chemins à chaque fois qu'ils s'avèrent utiles ou nécessaires. Il ne s'agit pas de sautiller à droite et à gauche, mais de construire une oeuvre, notre plus grande oeuvre, celle qui justifie notre vie sur Terre en tant qu'être humain, et pas seulement en tant que des singes bipèdes qui parlent.
Et cette tâche, qui de l'extérieur ressemble à faire, à casser et à refaire, devient beaucoup plus efficace si nous avons l'aide de quelqu'un. Quelqu'un qui nous connaît bien, qui voit les choses d'un autre point de vue, et qui surtout n'a pas peur de nous montrer ce qui nous manque. J'ai eu la chance (certains diraient malchance...) de rencontrer mon ami Evangelos il y a de nombreuses années, et grâce à son esprit plein de clarté, beaucoup plus que le mien, et sa tendance à ne pas mâcher ses mots pour souligner ce qui ne va pas, j'ai donc gagné la possibilité de "corriger le tir" rapidement, dans tout ce qui se rapporte au travail spirituel (et pas seulement). De son côté, je pense qu'il a aussi gagné un interlocuteur, pour refléter ses observations du monde et des réflexions, pour lui donner une perspective différente aussi.
Mais cette possibilité, fruit de cette relation dialectique, a aussi son prix. En commençant par la nécessité absolue de ne pas se laisser prendre par la peur ou par le découragement, quand nous découvrons que ce que nous pensions avoir construit avec soin pendant si longtemps, c'est après tout un mirage. Ou alors d’être capable de supporter la douleur de voir nos vices et nos frustrations être forcés de remonter à la surface, et de ne pouvoir rien faire d'autre que de les regarder en face jusqu'à ce qu'ils «s'évaporent».
De temps en temps, Evangelos me raconte comment quelqu'un, récemment arrivé et plein de bonnes intentions, semble aussi être tout enthousiaste à suivre cette route difficile. Presque tous sont des esprits brillants, avec une culture raffinée ou encyclopédique. Certains marchent sur des chemins spirituels depuis de nombreuses années. "Que c’est bien! - nous disons tous les deux - Quelqu'un qui se soucie vraiment de cela et semble prêt à faire un effort. »
Mais un peu plus tard, lorsque je demande des nouvelles, l'enthousiasme s'est refroidi rapidement... cette personne a pris ses jambes à son cou et n'a plus donné de nouvelles. Pourquoi ? Je demande toujours. Et la raison est presque toujours la même. Ce n'est jamais une raison intellectuelle, un désaccord de principes ou de méthodes (bien que cela puisse bien être la raison invoquée), mais c'est parce qu'il n'a pas été capable de commencer à opérer ce processus de transformation de soi-même. Un processus douloureux, lent, forcément, car comment pourrait-il en être autrement? Quelqu'un connaît-il un processus de vie, une naissance, une croissance, une découverte réelle, une transformation radicale, physique ou autre, sans passer par un effort énorme et sans aucune douleur ? Faites-moi savoir SVP.
Tout se passe comme si on annonçait une grande soirée dansante, et que beaucoup de gens viennent là, attirés par les lumières, les couleurs et la musique. Prenant leurs places autour de la grande salle, les gens s’attendaient à rester toujours assis dans leurs sièges, en regardant le spectacle des couples dansants, au son de la musique. Mais seulement 1 ou 2 paires sortent sur la piste, et à un moment, les gens se rendent compte que la fête ne se débutera même pas, sans leur participation. Mais ils ont peur de trébucher, de tomber ou simplement d'être ridiculisés pour leur manque de talent ou d'élégance. Et la fête se termine avant même qu'elle ne commence ...