Journal d'un pèlerin - 3/1
13 octobre 2015
Pendant le voyage du ferry, nous avons eu l’agréable compagnie des mouettes qui nous suivaient de près, dans l'espoir qu’on leur jette des morceaux de pain. Elles font d’extraordinaires acrobaties aériennes pour attraper leur morceau. Mais arrivés près du but, le vent fort et frais a forcé tout le monde à chercher un coin plus abrité.
Sur le chemin de Karyès, dans un bus datant de Mathusalem, je suis surpris de voir que la fièvre à ouvrir de nouvelles routes est déjà arrivée jusque-là, au prix de la déforestation et de l’éventration des terres. Dans un pays avec des priorités économiques, ce serait encore compréhensible. Mais pour un lieu qui devrait être un sanctuaire? Aller plus vite, vers où ?
Avec mon sac à dos qui pèse près de 20kg, je laisse Karyès derrière moi, et je marche vers Stavronikita sans y penser à deux fois. Mais la mer semble encore un peu loin... Sur le chemin, je fais un détour à la kellion S.Nicolas Bourazeri pour confirmer le changement de séjour du 31 pour le 25 octobre. L'espace est très bien agencé, avec des chemins en dalles de pierre, des jardins soignés et des maisons toute neuves. La salle de réception des hôtes est simple mais confortable, et la construction est bien adaptée pour toutes les saisons. On se croirait dans un petit village touristique plutôt que dans une résidence monastique. Malgré la crise en Grèce, il semble que l'argent ici ne manque pas pour vivre confortablement, à la différence de Thessalonique, où la misère était visible partout, même dans le centre-ville.
Le brave Père a été surpris de me voir et il ne se rappelait plus rien du tout de ma demande et de sa confirmation. On dirait que j’ai eu de la chance quand je lui ai envoyé le fax, deux mois plus tôt, sinon maintenant j’aurais tout simplement un refus de son hospitalité. Et une fois de plus, j’ai dû rêver dans sa réponse (par fax) une aura de bonne volonté et d'affection, puisque maintenant je trouve quelqu'un dont les dispositions sont assez différentes
Les 6,5 km de descente douloureuse et solitaire ont été une petite épreuve. 20kg sur le dos, presque personne sur le chemin, plusieurs terres déboisées, prêtes à construire, les bulldozers et les camions comme témoins de l'invasion du «progrès». Finalement, le petit château de Stavronikita apparaît sur le bord d'une falaise au-dessus de la mer. Mais mes plans de faire presque toutes les routes à pied, entre chaque monastère, sont partis en fumée.
Père Ambroise
Le Père Ambroise est venu droit me chercher à la salle de réception des hôtes, et s’est mis à disposition pour me donner des indications générales et montrer la bibliothèque où il travaille. Plus tard, avant l'office des Vêpres, j’ai eu avec lui une conversation édifiante, dans son autre bureau, un atelier de coupe et couture, plein d’anciennes machines à coudre à pédales. Depuis les difficultés à devenir moine au Mont Athos jusqu’aux problèmes de l'éducation et des familles en Occident, l'impression générale qu'il dégage, est celle d’un intellectuel pragmatique, qui suit évidemment la discipline stricte d'un moine orthodoxe et Hagiorite. Mais il ne croit plus trop en la puissance des saints ermites ou ascètes, ou du moins, à leur existence actuelle. "Il n'y a plus d’anciens ascètes et les ermites, les rares qui restaient, sont devenus heureux de retourner aux monastères et voir ainsi résolus leurs problèmes économiques."
Quand je lui dis que les saints sont en voie d'extinction, alors même qu'ils sont la base de la vraie vie monastique, son silence est éloquent, avec un regard comme si on venait de pointer une réalité dont on préfère ne pas trop parler parce qu'elle est difficile à regarder en face. Qui peut signifier soit qu’il a des doutes que ce qu'ils ont pu être, soit que c'est la douloureuse réalité d’à présent, qu'on se garderait de trop commenter. Et sa réponse concernant le peu de sommeil des moines hagiorites a été instructive: "Il y a un excès de romantisme, servi par les biographes et les visiteurs qui exagéraient certaines périodes de la vie de ces moines, faisant de quelques étapes de la vie, où ils méditaient plus et dormaient moins, une réalité constante de tous les jours ". Il serait intéressant d'avoir plus de détails, et de savoir sur quelle base il dit cela. En même temps, je pense avec mon ami Evangelos qu'il n'est pas du tout évident d'imaginer un univers où les influences surnaturelles s'exerceraient en permanence, comme c'était semble-t-il le cas autrefois, ce qui aurait permis des ascèses impossibles aujourd'hui. Nous pensons que c'est vrai, en raison du grand nombre de témoignages, en même temps nous ne l'avons jamais vu.
La traduction du petit texte grec, à laquelle il s’est gentiment prêté avec moi, dans l’obscurité de sa bibliothèque, a été également instructive. J’avais préparé ce texte pour une éventuelle rencontre avec un moine intéressant, et qui ne parle que le grec. Le Père Ambroise a mis une grande rigueur, dans le placement des termes corrects et des suffixes appropriés. Mais quand il a lu le passage: "Dieu m'a permis de voir un peu de Sa lumière", il a réagi comme si je disais une sottise. En même temps, tout est relatif, je suis bien loin de l'union à Dieu et il a probablement eu raison. Sans doute aurait-il fallu distinguer les lumières vues à travers la nature et les lumières vues à travers la contemplation des mystères, en outre, et ce n'était pas le lieu de commencer à faire de la théologie. Nous avons donc traduit par : "Je cherche à me rapprocher de Dieu".