L’abbé de Nantes a écrit une “transphysique” tout à fait remarquable. Il est vraiment regrettable qu’il se soit discrédité par ses attaques contre Jean Paul 2 (créateur d’ un mouvement classé comme “sectaire” par ses outrances et excès).
Il traquait assidûment l’hérésie comme on respire et se voulait son contempteur, alors qu’il aurait pu devenir une authentique référence “académique” et non un épouvantail qui sert de repoussoir.http://crc-resurrection.org/toute-n...
En effet, il est paradoxalement “moderniste” (et non un vieux fossile desséché en marge et rupture mouvement naturel de l’existence), car il traduit l’ensemble de la théologie catholique en termes de “relations”. Il délaisse avec intelligence le cliché de subordination d’un principe externe à ce qui en relève passivement, d’un chef à un esclave, d’un conditionnant absolu à un conditionné, d’un dieu omnipotent à une créature pré-déterminée qui ne peut qu’obéir à des décrets et injonctions arbitraires. Bref tout ce qui rebute notre esprit moderne.
Concrètement, ces démarches absolutistes aboutissent à un rejet et un dégoût légitime, car plus personne aujourd’hui n’aime se sentir assujetti à quoi que ce soit sans raisons viables. Or, dans le domaine de la philosophie, une véritable misologie a été entretenue à l’égard de Platon et d’Aristote (de l’Antiquité au sens large), coupables pour l’un d’avoir séparé le monde sensible du monde divin et pour l’autre d’avoir voulu tout classifier à l’extrême et enfermer dans des catégories rigides et autarciques.
Mais la lecture réelle des textes montre que ces découpages simplistes propres à un système scolaire d’opinions superficielles sont tout bonnement faux. Elle ne résiste pas à l’analyse et à l’examen objectif car les textes des grands auteurs sont foncièrement aporétiques, complexes, ambigus, sertis de zones obscures et de silence. Bref, le vague et le flou règnent en maître et non la certitude et la nécessité. Evidemment il faut distinguer le détail pour s’en rendre compte, alors au coeur de la lettre vivante et non s’en tenir à la facilité.
De Nantes tombe parfois dans cet excès lorsqu’il critique vertement Aristote et sa substance (loin d’être à l’origine du crime, accusé injustement, il est au contraire le “sauveur” de la logique concrète pouvant ensuite s’appliquer à tous les “étages” du réel), coupable selon lui d’”autarcisme” et de refus de l’altérité (et donc modèle d’égoïsme sur le plan moral).
Je ne vais pas entrer dans le détail du propos ici (ce sera l’objet d’un article spécifique très “technique”) mais j’indique simplement qu’un des sens de la substance c’est “ce qui ne se prédique d’aucun autre”, le “terme” ultime en quelque sorte de toute prédication au-delà de quoi il n’y a plus rien, en réalité le “substrat” (ce qui subsiste et fait être quelque chose) de toute chose qui désigne une réalité numériquement une, à savoir une singularité.
Ce que nous sommes tous ultimement : des singularités et non des abstractions mentales et universelles (soit des généralités; Aristote à Platon d’avoir fait des Idées des universaux et non des individus concrets les seuls réels selon lui à juste raison selon moi).
“Ce n’est donc pas l’idée innée de perfection, ou d’infini, qui peut me donner à conclure à l’existence de l’être. C’est le fait de l’existence, qui me contraint à penser cette même existence des choses, dégagée de leurs limites, comme existence parfaite, infinie, immense, éternelle. Plénière. Si je cherche un mot qui dise convenablement cet Être pur sans le souiller, sans l’identifier à rien d’autre, sans l’enfermer dans quelque définition, je retrouve le Nom que le Dieu de Moïse s’est donné, il y a plus de 3 000 ans, « JE SUIS : JE SUIS ». S’il y a existence, il y a Dieu. Si un être est, l’Être pur est. Sur la ligne de méditation de l’existence, je ne suis arrêté par aucune barrière et je vais à l’infini directement. (…)
L’existence d’abord est Dieu. Il est naturel et nécessaire qu’elle soit le tout de JE SUIS. (…) Au plan sublime de l’intuition métaphysique, ce qui m’étonne, ce n’est pas l’existence de JE SUIS, c’est, dans les myriades d’êtres de l’univers, l’existence retenue prisonnière de tant d’injustifiables et misérables contraintes”.
Ces “singularités” c’est à la fois vous, moi, ce stylo, cette lampe, cette vieille chaussette, ce bibelot, ce paquet de biscuits, cette partition, etc... mais aussi une araignée, une mite, un oiseau... et Misou, le fameux chat de l’abbé de Nantes auquel il consacre des lignes magnifiques qui marquent son propos du sceau de l’ineffable.
“Nous avons montré dans les chapitres précédents que JE SUIS crée chaque être pour une certaine fonction, un accomplissement, une valeur à réaliser par lui au sein de la totalité universelle, bien entendu au moyen de sa nature qui lui a été donnée pour ce faire. Dès lors, les relations sont de première importance dans le don de Dieu aux êtres concrets, elles manifestent son dessein, tandis que leur nature est seconde avec son rôle d’instrument. La physique d’Aristote passe derrière. La trans-physique passe en tête.
Dieu a créé la lune pour être planète de la terre. Ce n’est pas de sa nature, ni essentielle, ni accidentelle. Mais par situation. Ce qui la retient sur son orbite, c’est l’équilibre précaire de sa force d’inertie et de la force gravifique. Celle-ci est-elle voulue en général pour cette conséquence particulière ? ou le fait particulier, parmi des milliards d’autres, est-il un effet insignifiant de la mécanique universelle ? L’une et l’autre pensée sont plausibles. L’une est existentielle, transphysique, signifiante, découvrant une intention divine. L’autre est naturaliste, rationaliste, inintelligente.
Je préfère comprendre que Dieu met dans les corps cet attrait mutuel pour qu’en résulte leur voisinage dans l’immensité. Et je ne m’étonne pas de cela qui est tout simplement admirable. Car c’est le propre des esprits supérieurs d’instituer des lois très générales en vue de quelques conséquences particulièrement désirées. (…)
Dieu crée ce chat, Misou, pour être le centre d’intérêt de la maison. L’espèce Chat est-elle créée et conservée depuis des millénaires pour ce Misou-là ? Je n’ose le prétendre. Mais je refuse de croire que toute sa vocation soit d’illustrer l’idée de Chat et d’assumer la survie de l’espèce… Son mérite, sa valeur ne sont pas dans ce service anonyme et commun de l’idée, ni dans le seul accomplissement de son être individuel.
L’Idée n’est qu’une idole, une vanité, un néant. Et l’individu n’a point de sens en lui-même. Mais Dieu le crée, lui, – les autres, à d’autres d’en parler ! – pour être le vivant ornement de ce logis. Alors il lui donne matière, énergie, sensibilité, en un mot sa nature de chat, mais bien plus, cette situation, ces privilèges qui sont en lui plus que lui-même. Seul, il s’ennuie. Il ne vit content que dans notre discrète présence, qui est sa meilleure, son unique raison d’être.
Chacun de nous est un Misou. Chaque personne est constituée par Dieu, animal raisonnable certes, mais dans et pour ces relations qui l’affectent profondément, bien au-delà de sa physiologie et de sa psychologie naturelles. Ces relations révèlent son être personnel, ses amours originelles, ses désirs, et ce que seront les initiatives de sa liberté. Ah, qu’ai-je dit là !… de sa liberté ? “
Misou n’est pas le déchet et le rebut de la création mais accomplissement et n’importe lequel d’entre nous. En effet, tant que Dieu ou n’importe quelle essence ne subsiste qu’à un niveau abstrait sans être individualisé dans ce monde ci ici et maintenant, alors il est “vide” quelque part de toute réalité concrète.
Et ce qui vaut pour la créature vaut aussi pour le Créateur. Voilà l’originalité et la radicale nouveauté du propos de l’abbé. Il démystifie la théologie et la rend accessible et compréhensible à tous. Loin d’être des “personnes” abstraites enfermées dans leur tour d’ivoire qui écoulent paisiblement leur “vie parfaite” d’être célestes dans leur unité con-susbtantielle, les personnes n’existent réellement qu’en tant qu’elles sont “existenciées” dans le mouvement concret qui les porte à l’existence.
Ce mouvement concret et réel désigne l’incarnation de Dieu en Jésus son Fils unique. Pour nous, c’est notre tendance naturelle et appétitive à vouloir nous unir aux autres et à ne pas supporter la solitude qui est l’ennemi numéro 1 de l’homme et de la société. Pour le Père orthodoxe Julien Popovitch la solitude est le signe et le sceau de Satan, sa marque de fabrique en quelque sorte.
Voilà pourquoi l’homme la rejette spontanément et viscéralement, préfère toutes les agrégations les plus délétères au fait de se supporter tout seul dans son angoisse profonde. C’est ce qu’on observe factuellement et qui correspond bien à quelque chose de profond et de réel (malgré les écrits de mystiques souvent trompeurs qui exaltent le “rejet des créatures” et des phénomènes).
L’abbé appelle “convivialité” la tendance à former des collectivités, à “faire société” dans des ensembles qui, bien agencés, forment des “solidarités” naturelles préfigurant les con-solidarités célestes.
L’être humain a tendance à tomber soit dans la diffraction de l’existence sensible qui conduit à une atomisation et une perte de sens (rejetant les soit disant “arrière monde” à la façon d’un Michel Onfray), soit dans l’abstraction de l’être unique.
Son chemin de vérité se situerait plutôt à l’équilibre, soit l’intersection de l’en-stase (ramener les choses à leur principe) et de l’extase (s’ouvrir aux autres dans les “relations horizontales”), ce qui forme et dessine proprement une croix.
“Les secondes relation (avec) sont conjugales et conviviales. Car il est vrai que nul vivant ne peut s’en tenir à retourner en arrière, à se ressourcer. Lui-même fabrique le temps, il ne persiste dans l’existence qu’en innovant. De toute sa capacité, illimitée, de libre connaissance et amour, l’homme entre en conjonction AVEC gens et choses, proches mais autres et différents. Qu’on l’admire ou non, la distinction et l’ordination mutuelle des sexes dominent toute l’ordonnance de ce rapprochement et de cette corporation des êtres du monde en un plus-être commun. Car la permanence des vivants sur la terre et celle du genre humain dans l’histoire passent par ces embrassements accompagnés d’une gamme de sensations et de sentiments où se trouve récapitulé tout le bonheur humain, jusqu’aux sublimes hauts de gamme qui évoquent la béatitude éternelle.
Pourtant le mariage physique n’est pas le tout de cette deuxième sorte de relations, même s’il en est le type fondamental. Il constitue, en effet, une sorte d’alliance de l’être individuel avec l’univers entier par la représentation et suppléance de son conjoint. La preuve en est que maintes relations collectives, comme du prince à son peuple, du maître à ses disciples, (de l’évêque à son diocèse), du chef à son armée sont souvent ressenties et exprimées comme des rapports d’époux à épouse. De la même manière qu’une femme dit naturellement à son mari, qui le trouve normal ! qu’il est son « tout sur la terre », de même un peuple s’enthousiasme pour son roi, ou quelque chef et sauveur providentiel, comme pour la figure de son bien suprême et de son destin commun.
Alors nulle besoin de “kénose” et de théories compliquées à la façon d’Uhr von Balthasard pour expliquer l’incarnation et l’”abaissement” de Dieu. Les “Personnes” divines n’ont pas besoin de se “vider” d’elles-mêmes pour se déverser dans leur autre dans une “dramatique” incompréhensible, car elles sont bel et bien vides au départ d’elles-mêmes. Elles n’ont donc pas besoin de se vider ! CQFD.
Voilà donc que sonne la fin du “drame” théatral, des doctrines inquiétantes du “sacrifice”, l’”impassibilité” qui reprend ses droits, mais non la vie et la passion de Misou qui lui est inhérente. En effet, aucun accès à l’existence ne se fait sans douleurs, obstacles et difficultés, à l’image de tout enfantement.
Mais loin de s’opposer, essence et existence ne font qu’un, trinité “absolue” (au ciel) et sur la terre (“économique”). Refuser un terme au profit d’un autre, le balancier naturel de la vie, c’est tout bonnement la mutiler et perdre pied.
“De proche en proche, je reconstruisais, non pas contre Aristote et saint Thomas, mais, il faut le dire, à côté d’eux, en complément de la leur, une synthèse d’une étourdissante nouveauté, d’une hardiesse extrême, mais féconde, parlante et belle.
Son grand signe de vérité fut pour moi la solution libératrice qu’elle apportait à l’insupportable opposition que la théologie traditionnelle latine dresse entre les deux grands Mystères chrétiens de la Sainte Trinité et de l’Incarnation du Verbe. Dans la Trinité, les trois Personnes sont dites de pures relations, pure Paternité, pure Filiation, pure Spiration.
En revanche, dans l’Incarnation, le Verbe divin et humain, en deux natures parfaites, est dit une seule Personne ou hypostase, en raison de l’autonomie, de l’incommunicabilité, de la subsistence attachées à ces notions !
Au contraire, je découvrais dans ma définition universelle et analogique de la personne comme relation d’origine,de merveilleuses harmonies et convergences entre les deux Mystères, une continuité parfaite ! Le Verbe était, précisément sous sa raison propre de Fils au sein de la vie trinitaire, capable de se donner une nature humaine selon sa pure et simple personnalité de Fils unique de Dieu…
Et puis de Dieu à l’ange, de l’ange à l’homme, la notion de personne ainsi définie se montrait partout révélatrice du fin fonds singulier, inépuisable et sacré de tout être spirituel, selon les dogmes et la morale de notre foi catholique, comme en regard de la raison philosophique la plus sourcilleuse et selon les vœux de l’existentialisme personnaliste le plus moderne. (…)”http://crc-resurrection.org/toute-n...
Mais là où l’abbé pèche selon moi (ce qui explique qu’il se soit pris les pieds dans le tapis avec l’institution et aie une aussi piètre image au point d’avoir été discrédité), c’est dans l’oubli du “corps mystiques des saints” (bien thématisé dans la “Philosophie orthodoxe de la Vérité” du Père Popovitch et “Dieu et le dieu-Homme”).
Seul le “corps mystique des saints” qui joue le rôle de médiateur entre le ciel et la terre, les abstractions quintessenciées et notre monde naturel et concret peut nous relever. C’est lui seul qui nous “sauve” (en proportion de notre capacité à nous y agréger, à se raccorder aux branches en quelque sorte de l’arbre dont Jésus est le sang et la sève), car il tire de quelque chose totalement fugace et évanescent (notre monde “sub-lunaire” issu de la contamination et l’obscurcissement des cinq éléments contingent et quasi irréel et fantomatique) un milieu relativement stable et cohérent doté d’une substance : une “terre du milieu” , le paradis de Misou et des autres hommes.
Il y a donc une “gradation” et une dialectique des substances (ce qui se désigne ultimement comme numériquement un et support de toute prédication ou acte de l’esprit) nous faisant passer du monde sensible au ciel. Il nous importe pratiquement non de savoir comme l’Un devient multiples (objet des spéculations de la “théologie platonicienne), mais comment nous pouvons raffiner les substances que nous trouvons autour de nous.
C’est le “travail” de Misou qui se fait alchimiste.