Dans sa monumentale et extra-ordinaire Philosophie orthodoxe de la vérité : Dogmatique de l'Eglise orthodoxe (l’écriture est extrêmement profonde et simple en même temps il n’y a pas d’artifices inutiles), le Père Justin Popovic déploie des trésors d’érudition et de réflexion pour convaincre de la véracité de la philosophie unique du “Dieu-Homme”.
Non pas à la façon du “catéchisme” qui expose scolairement ses matières en faisant des tronçons, mais à la façon d’un fleuve, d’un torrent qui charrie les décombres du vieil homme. il montre la vérité en mouvement et non de façon statique.
En appendice, remarquons à la quel point la linguistique contemporaine dominante (je suis tombé par hasard sur “Figures” de Gérard Genette critique littéraire connu) a dénaturé le rôle et la fonction du langage, réduisant celui-ci à un ensemble de signes sans référent réel, sans support consistant (le “sujet” rejeté, méprisé ou réduit à un point sans dimensions) et sans destinataire authentique.
Dans un tel monde, à quoi bon écrire et tenter de communiquer, puisque l’origine est irréelle (le sujet), la relation inexistante (les significations arbitraires et sans objet réel) envers un récepteur fantomatique ? A l’inverse, sans verser dans des théories ésotériques et complexes sur la “science des lettres”, une transmission authentique suppose un sujet émetteur (semen), un sens émis sous forme de signes (sémiotique) et un récepteur qui peut le déchiffrer (sémantique).
Cette transmission se condense, “passe” et circule à travers les lettres sous forme d’un “souffle” qui en sont les supports transitoires sous une forme donnée. Le but de la lecture consiste à recevoir les vibrations qui ont été imprimées initialement par l’esprit de l’auteur qui émet une intention marquée du sceau de l’authenticité à travers son écrit.
En lisant, en écrivant, on reconstitue un récit, on active une trace, on réenclenche une trame et on fait revivre si ce n’est la “chose” même (par nature impossible) du moins son image.
Ces vibrations constituent un noyau et un corps de vérités qui va pouvoir venir infuser l’esprit de la personne qui reçoit l’information et le toucher éventuellement jusque dans la partie somatique (si le taux de “vibration de vérité” est suffisamment élevé).
Il est impossible de résumer le coeur et le noyau démonstratif du Père car il ne s’appuie pas sur la logique objective tout en étant très rigoureux en enchaînant les raisonnements. En effet la logique objective est le plus redoutable écran en matière de foi car elle masque l’essentiel : le caractère absolument indémontrable car totalement subjectif de la vérité.
Subjectif non pas au sens de “privé” mais en dehors de la sphère objective (à la façon de Kierkegaard, ou plus récemment comme Stephen Jourdain s’est tué à la tâche pour l’indiquer dans “Première personne” mais aussi d’autres textes remarquables). Comme Kant l’avait expliqué, aucune “démonstration” en matière de religion n’est vraiment démonstrative. Non pas en raison du caractère déficient de la raison (ce qu’il pensait), mais parce que celle ci ne peut pas par nature toucher le coeur (ce que le bon sens sait intuitivement).
Je crois à la façon des anciens qu’on peut “prouver” toutes sortes de choses par l’ordre des raisons, mais cela ne prouve rien du tout, car l’esprit humain n’est pas une machine et pas véritablement sensible aux preuves logiques.
C’est pour cette raison qu’une grande part de l’apologétique chrétienne s’est engluée à mon humble avis en voulant faire coïncider l’ordre social avec l’ordre trinitaire par nature différents (même si l’un peut inspirer l’ordre il n’a pas vocation de s’imposer à lui).
Le domaine de la charité étant totalement hétérogène à l’ordre de la nature et des raisons (Pascal), tout tentative de preuve dans l’un est voué à l’échec dans l’autre. Passé un certain seuil leur opérativité s’effondre. Cela tient à l’aspect de limite des catégories humaines et au fait que si le monde objectif existe bel et bien (ce n’est pas juste un rêve ni le produit d’un “syllogisme transcendant” mêlant le sujet et l’objet, car on en constate le résultat de ses lois à chaque instant), il n’est pas le critère et la mesure ultime de sa propre réalité tout en étant consistant en lui-même (ce qui est trompeur et masque le monde surnaturel qui le pénètre de part en part).
Popovic en arrive donc à décrire les miracles de l’Incarnation, pivot de toute la doctrine chrétienne : ce qui est pur par nature vient embrasser l’impur, le juste vient partager la vie de l’injuste sans être corrompu mais en devenant “compagnon de misère”. C’est là “l’unique nouveauté sous le soleil”. En effet aucune autre religion ne propose ce “cliché”.
L’aide (un octroi d’énergies divines) se fait toujours (en théorie du moins) suivant des “opérations” et jamais selon l’essence (le Verbe lui-même “fait chair”, ce qui fournit le contenu propre de la foi chrétienne). Pourquoi le Bien et le Parfait viennent-il côtoyer l’imparfait et la malice sans se corrompre ? Tel est le grand mystère, le paradoxe sur lequel achoppe la raison, le “scandale” à proprement parler.
Alors comme Angèle de Foligno et Saint-Irénée l’ont déclaré, le Salut (synonyme de sainteté ou purification totale des passions vicieuses et des pensées trompeuses corollaires de la restauration de l'image de la Trinité dans l'homme) aurait pu se produire selon d’autres voies. Je pense de mon côté suite à mes propres recherches (que j’exposerai peut être sous forme d’une enquête récréative quasi policière) qu’il s’est effectivement produit : tel est le contenu de toutes les autres religions (elles donnent des méthodes adéquates et des possibilités de sanctification qui fonctionnent) pré, post chrétiennes voire même “extra-terrestres” qui permettent effectivement de retourner au Père.
En effet, tout ce qui est dans la nature est déjà empli de “sur-nature” (car tout est issu du “Dieu-Homme” depuis l’origine jusqu’à son terme) et rien n’y est exclu. Mais il y a un surcroît essentiel, un don supplémentaire, un “jackpot” qui montre l’amour inconditionnel du Créateur pour l’homme : celui de l’Incarnation qui ne consiste pas un changement objectif des propriétés terrestres au sens général (comme l’imaginait Steiner à mon avis selon un “réalisme” un peu grossier), ni dans la possibilité de vivre en abstraction une Amitié parfaite (ce qui revient à une forme d’”idéalisme” chrétien) mais dans la chair même du “Premier né”.
Les “raisons séminales” et logiques données pas Popovic abondent, mais une seule factuelle et événementielle en dehors de la spéculation me paraît résumer à elle seule le reste et emporter l’adhésion : l’incarnation historique donne figure, sens et contenu à l’ombre portée depuis la création sur la nature humaine car elle nous a donné un "compagnon de malheur" , non pour nous porter préjudice, nous abîmer dans l'abîme des problèmes ni nous engouffrer dans les souffrances, mais pour apprendre les valeurs du partage et de la fraternité.