Journal d'un pèlerin - 5/1
15 octobre 2015
Encore un calvaire avec le chemin jusqu'à Pantocrator. Le sentier n’est plus qu'un lit de cours d'eau, sans aucun entretien. Arrivé à la salle de réception des hôtes, un fou qui dormait sur un livre, le nez dedans, prend des airs de sage et après m'avoir demandé si je suis orthodoxe, il me dit que le chemin correct est d'y sauter à pieds joints, et que son livre montre précisément comment le faire... Décidément, ici c’est la domination absolue des Grecs, et de leur langue, en particulier le grec antique. Même si une bonne partie des moines peut parler l’anglais, en particulier les jeunes générations, son usage est limité à l'essentiel du quotidien. Père Ambroise, après 30 ans passés ici, semble avoir encore des inquiétudes sur sa connaissance supposément limitée de la langue grecque, et il estime ne pas pouvoir obtenir toute la compréhension spirituelle qu’il souhaiterait.
On m’a jeté dans un dortoir immense, dont la vision (aucun espace privé, le manque de communication avec l'extérieur du MA, personnes qui soit ne parlent que le grec, soit refusent de communiquer dans une autre langue) m'a fait fait une telle crise d'angoisse que j’envisage de partir tout de suite du Mont Athos, dès qu’expire le diamonitirion.
Heureusement, l’office de Vêpres m'a apaisé. L’église est plus lumineuse et conviviale que celle de Stavronikita. Les gens, qui se sont rassemblés en bon nombre, très agréables. Et l’icône de N.D. Gerontissa libérait une aura chaude et douce. Le repas était un peu bizarre, mais intéressant comme expérience. La nourriture n’est pas aussi bonne qu’à Stavronikita et le repas s'est terminé beaucoup plus vite que prévu, avec tout le monde retournant dans catholicon, pour la vénération des reliques locales. Bref, le monastère a une énergie totalement différente de Stavronikita. qui ressemble à un endroit qui a été abandonné par toutes les aides surnaturelles, mais où les habitants font des efforts sincères pour s’élever au-dessus de ces «ténèbres». Alors qu’à Pantocrator, il y a une exubérance vitale dont je ne comprend pas toujours d'où elle vient. Cette exubérance est visiblement exemplifiée par le Père Théophile, un géant grec, mais qui parle couramment le français, à qui un jeune moine amical m’a introduit à la fin des vêpres. Il s’est mis tout de suite à m’expliquer diverses choses sur la cérémonie de vénération des reliques, et à la fin m' présenté son père qui passait par là, et voulait même m’entendre parler le portugais. Malheureusement pour moi, cet intérêt général s’est éteint, et malgré une promesse de rendez-vous pour discuter de mes plans et des raisons de ma visite au Mont Athos, il s’est éclipsé pour de bon, sans doute appelé par des taches plus urgentes.
Je me pose des questions. J'aime bien le dynamisme de ce monastère, il y a encore une puissance qui anime les gens et les choses, peut-être grâce à son grand nombre de reliques et l'icône miraculeuse de N.D. Gerontissa, mais cette force semble augmenter surtout l'aspect vital. Les moines sont plus énergiques, sympathiques même, mais j'aspire à quelque chose de plus "spirituel". Mais peut-être que je confonds le spirituel avec une certaine introversion, il faut dire que ma surdité ma rendu un peu sauvage et solitaire. Les pèlerins en grand nombre sont entassés dans les dortoirs et acceptés sans restriction, bien que le monastère soit en train de faire de grands travaux de modernisation dans toute une aile. Les pèlerins sont surtout des gens simples, ouvriers et paysans. Dans la soirée, la socialisation entre les moines et les pèlerins, semble durer jusqu'à des heures tardives, l’enthousiasme est grand dans la salle de réception des hôtes. Peut-être que l’higoumène du monastère tente d’élever un peu l'esprit en imposant un temps de repas très court et pris en sandwich au milieu d'un office, mais le résultat n’est pas très concluant.
16 Octobre 2015
Après les vêpres, et le repas, un baptême était prévu, dans le narthex du catholicon. Gros tambour plein d'eau chaude, huile d'onction, serviettes en abondance, et l'encens, toujours omniprésent. Le candidat était un jeune homme avec un air d’ouvrier de construction, et il semblait assez décalé, parmi les moines et les visiteurs, qui le regardaient comme une sorte d’animal en danger d'extinction, et qui allait être le sujet d'un folklore exotique.
Le garçon s'est déshabillé dans le narthex, et portait seulement un short blanc. Après avoir été oint avec de l'huile, plutôt une douche d’huile et un massage, il a grimpé une échelle et il est entré dans le tambour. L’higoumène l’a fait plonger sous l'eau et l’a relevé 3 fois, en le tenant par les cheveux du haut de la tête. Après la sortie du bain, et un séchage partiel, de nouvelles onctions ont été appliquées, puis il a enfilé une combinaison blanche avec des bords dorés. La cérémonie était assez élaborée, comme c'est toujours le cas au Mont Athos, prenant au moins une demi-heure.
Je n’étais pas choqué par le caractère festif de l'occasion, mais si j’avais été à la place du jeune homme, je n’aurais pas aimés les innombrables photos prises, et la façon dont la cérémonie a été trop exposée au public. Par contre, à une époque où la plupart des gens auraient su y prendre part avec une certaine vénération, je n’y aurais vu aucun problème.
Le soir, je discute un peu avec un gars, un jeune grec qui est venu avec son père et son oncle. Lui il parle assez bien l’anglais. Apparemment il y a la croyance que les richesses accumulées par les monastères seraient plus que suffisantes pour payer la dette de la Grèce entière. Et il pointe la grosse tour à l’entrée du monastère, où ces trésors seraient très bien gardés.